On estime à plus de 200 000[1] le nombre de travailleurs québécois détenant un emploi saisonnier. Que ce soit, entre autres, dans le secteur des pêches, de l’agriculture, de l’aménagement forestier, de l’horticulture, du tourisme ou encore de l’éducation, le travail saisonnier occupe une part importante du marché du travail dans toutes les régions du Québec. Cet état de fait implique notamment que chaque année, il faut procéder à l’embauche des travailleurs requis pour faire fonctionner chacune des entreprises concernées.
C’est bien connu, l’industrie touristique comporte un nombre important d’emplois saisonniers[2]. Mais le bassin de main-d’œuvre n’est pas illimité; il serait même en décroissance, compte tenu du vieillissement de la population. Comment s’assurer de combler adéquatement, année après année, tous les postes disponibles, à commencer par les postes clés? L’une des pistes de solution consiste à offrir du travail à l’année à un candidat intéressé, en lui facilitant la possibilité de combiner un emploi dans deux entreprises saisonnières distinctes et dont les périodes d’activité sont complémentaires sans se chevaucher.
L’expérience du Mont SUTTON
Quand elle a inauguré le nouveau poste de coordonnatrice des ressources humaines en février 2014, Corinne Sergerie a pris connaissance du plan d’action lié à sa tâche. Celui-ci incluait la responsabilité d’initier un réseau d’entreprises saisonnières intéressées à collaborer dans le partage de la main-d’œuvre.
Le centre de ski du Mont SUTTON compte 250 travailleurs rémunérés et une centaine de bénévoles. Dans le groupe des salariés, 220 sont saisonniers, incluant 130 moniteurs. En excluant ces derniers, dont le recrutement obéit à des règles particulières et se déroule relativement bien, il reste un total de 90 postes saisonniers à combler, pour une quarantaine de fonctions différentes, dont une majorité en contact avec la clientèle.
Le centre de ski opère dans une région majoritairement rurale et adossée à la frontière américaine, ce qui fait que son bassin de recrutement est limité. De plus, comme pour une majorité d’entreprises saisonnières, le taux de roulement de son personnel est élevé. Si on ajoute à cela la pénurie générale de main-d’œuvre telle qu’annoncée, la direction savait qu’il fallait être proactif et commencer à explorer d’autres avenues.
Corinne est donc rapidement passée à l’action pour faciliter aux membres du personnel qui terminaient la saison de ski 2013-2014, leur relocalisation éventuelle chez d’autres employeurs. En aidant ses employés mis à pied à la fin de la saison à trouver du travail dans une entreprise saisonnière dont la période d’activité ne chevauche pas celle de la station, la station augmente ses chances de voir revenir ses employés saison après saison.
Parmi les autres critères pertinents, il fallait considérer la distance. Corinne a donc établi un rayon maximum de trente minutes de route à la ronde; cette région immédiate correspond à la MRC de Brome-Missisquoi. Au-delà de cette limite, l’expérience de l’entreprise indiquait que les prospects étaient rares. Ce facteur étant déterminé, elle a ensuite dressé une liste des partenaires potentiels, en parcourant notamment les sites d’offres d’emplois saisonniers couvrant la période du printemps à l’automne. Puis, elle a communiqué par téléphone et par courriel avec une soixantaine d’entreprises, en leur expliquant le projet et en offrant de publier leurs offres d’emplois auprès de ses propres employés.
Il faut savoir que la MRC ne compte pas de gros employeurs saisonniers estivaux, ce qui implique que les maillages doivent être multipliés auprès d’un grand nombre de petites entreprises comptant un nombre limité de travailleurs. Par ailleurs, il s’est avéré que ce n’était pas toutes les organisations sollicitées qui présentaient un profil pouvant s’harmoniser avec celui du Mont SUTTON. Ainsi, en agriculture, les saisonniers sont en majorité des travailleurs étrangers temporaires. Dans le secteur de la construction ou de l’excavation, la différence avec les conditions de travail offertes au Mont SUTTON est trop importante pour générer de l’intérêt.
Dans ce contexte, la possibilité de pouvoir faire appel à des candidats qu’on sait disponibles à l’emploi et qui œuvrent déjà dans l’industrie touristique ou dans le commerce de détail est un atout non négligeable, puisque plusieurs compétences sont transférables: service à la clientèle, opération de caisse, etc.
Concrètement, comment ça se passe?
À l’automne 2015-2016, Corinne se rend directement dans les entreprises ciblées pour remettre des affiches attrayantes faisant une promotion générale de l’emploi au Mont SUTTON. Elle fait deux tournées distinctes, une avant la fête du Travail et l’autre avant l’Action de grâces, selon la date de fin d’activité des entreprises visées.
À la fin de l’hiver, la liste des offres d’emplois recueillies auprès des entreprises partenaires de la région est diffusée auprès des employés du Mont SUTTON. Mais la tâche n’est pas simple, les lieux de travail sur la montagne étant assez éparpillés. C’est pourquoi plusieurs moyens sont utilisés : babillards, documents imprimés et courriels aux directeurs de services qui assurent le relai auprès de leurs équipes, échanges ponctuels de la coordonnatrice avec des employés de la station.
Les résultats
L’expérience en est à sa troisième année et s’appuie sur une liste active d’une trentaine d’entreprises : une dizaine de vignobles, 8 campings, 7 terrains de golf, 6 pépinières/centres de jardin, 3 camps de jour et même une usine de transformation alimentaire. Dans ce réseau, l’avantage du Mont SUTTON est d’être la seule entreprise à offrir du travail l’hiver.
« Ce réseau de partenaires n’est pas notre seul moyen de combler nos postes saisonniers. Cependant, il nous permet d’être proactif en matière d’embauche, et d’exercer un leadership pour le développement global de notre région » – Corinne Sergerie, coordonnatrice des ressources humaines au Mont Sutton.
L’expérience est encore nouvelle, mais l’idée fait progressivement son chemin et on entend de plus en plus d’employés qui posent la question : « C’est rendu où, le cartable des offres? » Au moment d’écrire ces lignes, Corinne estimait à onze le nombre de recrues identifiables émanant de cette initiative pour la prochaine saison».
Nouveau phénomène observé chez les travailleurs étudiants
Parallèlement aux travailleurs saisonniers, c’est-à-dire ceux qui reviennent saison après saison, il y a la main-d’œuvre étudiante qui, traditionnellement, vient combler des postes également saisonniers, selon un nombre variable de saisons. Au Mont SUTTON, on a constaté à l’automne 2016 une augmentation importante des demandes par les étudiants pour travailler seulement une journée par fin de semaine, plutôt que deux. Cette requête semble s’appuyer sur l’intention de consacrer plus de temps aux études. En contrepartie, l’employeur doit embaucher plus de personnel, ce qui a des conséquences sur la gestion, notamment davantage de nouveaux employés à initier à la tâche. Cette situation pourrait amener l’entreprise à explorer d’autres bassins de recrutement, comme celui des préretraités et des retraités.
[1] Cette évaluation du nombre d’emplois saisonniers est celle de la Direction de l’analyse et de l’information sur le marché du travail (DAIMT) d’Emploi-Québec et est basée sur une approche macroéconomique qui consiste à mesurer l’amplitude saisonnière au niveau de l’emploi. Il s’agit de l’écart entre le niveau mensuel d’emploi le plus bas de l’année, généralement en janvier, et celui le plus haut, généralement en juillet, pour un pays, une région ou un secteur donné.
[2] Dans l’industrie touristique, 29,1 % des emplois sont qualifiés de saisonniers (moins de 40 semaines), contre 19,0 % dans l’ensemble des industries au Québec. Source : Chantier sur la saisonnalité, Profils sectoriels, Tourisme.